Attention au passage d'un train. Veuillez vous éloigner de la bordure du quai, s'il vous plaît. Dans les locaux de Pharo, au Mans (Sarthe), le quotidien est rythmé par les annonces de Simone, la « voix » de la SNCF, le crissement du freinage des TGV et les coups de sifflet autorisant le départ des trains. L'agence ne pourrait, en effet, pas être plus près de la fameuse « bordure ». Fondée fin 2019 par Fabienne Paumier et Rémi Hersant, elle a ses bureaux dans l'ancien poste d'aiguillage de la gare.

Avec son centre de commande en porte-à-faux, sa toiture à larges débords et son inscription Le Mans en grandes lettres rouges, l'édifice a l'allure typique des bâtiments ferroviaires. Rares doivent être les voyageurs à se douter que cette petite tour aux lignes Art déco, construite en 1937 au moment de l'électrification de la ligne Paris-Le Mans, a depuis longtemps perdu toute fonction cheminote et qu'une dizaine d'architectes y sont à l'œuvre, perchés au-dessus de la voie numéro 10. Pourtant, c'est à cette reconversion que le bâtiment a dû son salut à la fin des années 1980, bien avant la création de Pharo.

A l'époque, Le Mans se préparait à l'arrivée du TGV et pour accompagner cette promesse d'un développement nouveau, la construction d'un quartier tertiaire avait été lancée au sud de la gare, à la place de voies de triage en friche. L'opération de promotion privée a consisté à « réaliser des bureaux, un hôtel, l'ébauche d'une place et un accès sud pour la gare, se souvient l'architecte Philippe Duvergey qui l'a conçue avec son associé d'alors Daniel Saintagnan. Le “poste central”, comme on l'appelait, était promis à la démolition. Mais j'ai un côté ferroviphile. Surtout, mon associé et moi nous sommes dit que ce patrimoine, qui en son temps avait été novateur, ne pouvait pas disparaître. »


Toit en apostrophe. Le duo, accompagné de confrères et d'un architecte d'intérieur, a donc acquis le bâtiment que la SNCF a alors délesté de l'horlogerie de précision qui servait auparavant à mettre les trains sur la bonne voie. La tourelle, haute de 19 m environ, a été réaménagée : la structure en béton qui avait supporté une lourde machinerie et les importantes hauteurs sous plafond ont permis d'ajouter un étage en mezzanine et d'encastrer, au sommet, une petite surélévation en charpente métallique, reconnaissable à sa toiture en apostrophe. Dès lors, les occupants ont pu observer le va-et-vient des trains. « Le spectacle était continu, jusque tard le soir, raconte Philippe Duvergey, désormais à la retraite. On voyait ainsi débarquer les bidasses en permission. Lors du passage du franc à l'euro, un convoi blindé surveillé par des hommes en armes a transité par là. » « Qui d'autre que des architectes aurait choisi de s'installer dans ce bâtiment ? Ce patrimoine était alors si peu à la mode », notent les occupants actuels, Rémi Hersant et Fabienne Paumier. Le premier s'est installé au « poste » dès le début des années 2000. Après la disparition de Daniel Saintagnan en 2004, il s'est associé avec Philippe Duvergey pour créer la bien nommée agence Architour. De son côté, Fabienne Paumier était à la tête de Pièces Montées, structure qu'elle avait hébergée… dans une ancienne boulangerie. En 2018, elle a troqué le confort domestique de l'ancienne boutique pour la tenue un peu sévère de la tour. Puis l'année suivante, les deux architectes ont fini par faire Scop commune.

La tour symbolise la valeur que Pharo accorde au recyclage de l'existant
Le nom de l'agence, Pharo, sonne comme un hommage au lieu. En contrepartie, ce dernier symbolise la valeur que l'agence accorde au recyclage des bâtiments. « Nous prenons un malin plaisir à démontrer qu'on peut obtenir mieux en partant d'un existant qu'en construisant du neuf, comme avec les logements que nous avons livrés en 2020 dans un ancien central téléphonique de la ville », expliquent les deux cogérants. Du plaisir, ils en prennent aussi à ouvrir les portes de la tour-agence quand ils le peuvent, notamment en dédiant l'un des étages à un espace de coworking ou en organisant des événements. « Nous devrions faire venir d'anciens cheminots ! », suggère soudain Fabienne Paumier. Histoire de leur montrer que ce patrimoine est toujours bien vivant.

