Défaillances d’entreprises (4/5) : Dans les agences d’architecture, une crise inédite

Même si des chiffres fiables sont difficiles à réunir, les organisations représentatives de la profession ont observé ces derniers mois une augmentation sans précédent des plans de licenciement, puis des liquidations d’entreprises du secteur.

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Plans de licenciement, liquidations judiciaires... les agences d'architecture sont contraintes à des mesures jusqu'alors rarement constatées dans ce secteur.

C’est un cycle bien connu : quand une crise affecte le secteur français de la construction, les architectes en ressentent les conséquences avec retard. Il leur faut achever leurs opérations en cours avant de subir les effets du ralentissement de la commande. Ainsi, alors que les sociétés de BTP seraient en train de sortir du creux de la vague, comme le montre le recul sensible de défaillances d’entreprises observé entre le 1er et le 2e trimestre de 2025, le milieu de la conception continue à bruisser d’annonces de licenciements ou de fermetures d’agence. Sans que rien ne soit jamais confirmé par les principaux intéressés. Un architecte admettra tout juste, au détour d’une conversation, que «ça irait mieux si on avait du boulot». Mais de suppressions de postes ou de procédures de redressement judiciaire, on ne dira mot, ne serait-ce que pour ne pas inquiéter les maîtres d’ouvrage.

Quant aux chiffres fiables, il y en a peu et rarement de récents. A la question «Comment vont les agences ?», les deux organisations syndicales des entreprises d’architecture, l’Unsfa et le Syndicat de l’architecture, ont la même réponse : «mal !» Mais elles fondent leurs estimations sur des données différentes. Ce qu’elles perçoivent, une troisième structure représentative le constate en revanche. Constitué en 1992, le Syndicat national professionnel des acteurs et professions de l’architecture paysage urbanisme et maîtrise d’œuvre, le Synatpau, qui représente les salariés du secteur, a en en effet vu depuis des mois s’empiler sur le bureau de son pôle juridique les dossiers, d’abord de ruptures conventionnelles, puis de plans sociaux et, enfin, de défaillances.

«Une quinzaine de liquidations judiciaires»

La mécanique s’est enclenchée doucement à partir du début de l’année 2024, à entendre Stéphane Calmard, le secrétaire général de l’organisation : «Les employeurs ont commencé par négocier des départs à l’amiable pour faire en sorte d’éviter les licenciements économiques, qui sont finalement arrivés. Depuis le début de cette année, on comptabilise entre deux et cinq plans de licenciements par mois. Surtout à partir de l’automne 2024, sont arrivées les liquidations judiciaires. Depuis le début de cette année, je pense qu’il y en a eu une quinzaine et notamment celles d’agences qui tournaient depuis 30 ou 40 ans. Et encore, nous n’avons connaissance que des disparitions d’entreprises qui employaient des salariés. Nous ignorons le nombre d’indépendants qui ont cessé leur activité.»

Du jamais-vu pour le responsable syndical. «Sauf accident de parcours, en 20 ans, je n’ai pas eu connaissance de liquidation judiciaire, assure Stéphane Calmard. De même, les plans de licenciements étaient rares et pourtant aujourd’hui, même des agences connues dans le monde entier – que je ne citerai pas - sont touchées.» Pour le Synatpau, la situation est d’autant plus préoccupante que «les architectes ont normalement une grande capacité de résilience : ils ont l’habitude de jongler avec la difficulté économique. Ils ont donc tenu autant que possible.»

Le logement, une crise économique et sociale

Sans surprise, le syndicat de salariés a constaté qu’en tête des agences affectées par cette crise se trouvent celles spécialisées dans le logement. Laure-Anne Geoffroy Duprez, la présidente de l’Unsfa, qui fait le même bilan, s’agace : «Voilà des années que nous alertons les pouvoirs publics, mais clairement le logement n’est pas un sujet qui leur importe. On nous répond que l’habitat coûte cher à l’Etat, mais il rapporte plus qu’il ne coûte. Les bonnes décisions n’ont pas donc pas été prises au bon moment. Et ce qui est une crise économique du secteur devient désormais une crise sociale puisque les gens ne peuvent ni se loger dans le privé, ni obtenir une place dans l’habitat social.» La baisse de la commande publique est une autre cause, identifiée par toutes les organisations. Sans compter que les élections municipales de 2026, et la campagne qui va précéder, seront de nature à freiner encore les projets, voire à les stopper.

«A cela s’ajoute la problématique des délais de paiements, renchérit Laure-Anne Geoffroy Duprez. Aujourd’hui, les clients, y compris des gros donneurs d’ordres publics, paient très en retard. Les agences, qui sont majoritairement de petites structures, n’ont pas la trésorerie suffisante pour le supporter. Nous alertons pour que des mesures soient prises, notamment dans la commande publique, mais aussi pour que les intérêts moratoires, dûs par l’Etat en cas de retard, soient bel et bien versés. Car aujourd’hui, si on ne les réclame pas, ils le sont rarement…»

Parts de marchés perdues

Au Syndicat de l’Architecture, son président Hugo Franck ajoute un grief à la liste en pointant «les parts de marchés qui sont enlevées aux agences, à force de leur ôter des missions. Il est temps que les architectes ré-interviennent sur l’ensemble de la chaîne de la construction et qu’ils retrouvent leurs prérogatives sur les phases de projet en lien avec le chantier.»

Lui, comme ses confrères, appelle à une politique ambitieuse en matière d’architecture. «Nous transformons le cadre de vie des Français, cela n’a pas de prix», rappelle-t-il. En attendant, les organisations patronales et le syndicat de salariés accompagnent leurs adhérents dans leurs difficultés. «Cette année, les demandes sur les sujets RH ont été multipliées par deux ou trois», conclut platement Hugo Franck.

Pour les paysagistes, l’heureuse parenthèse électorale

Autres acteurs du cadre de vie, les paysagistes-concepteurs se trouvent dans une situation «mitigée», selon le qualificatif employé par Paul Trouillot, vice-président de la Fédération française du paysage (FFP). «Elle est en tout cas moins tendue que celle des architectes, constatait récemment le responsable. Mais c’est à mettre sur le compte d’une particularité de notre secteur : les années de veille d’élections sont toujours chargée tant nos agences occupées par le pilotage des chantiers à finir. D’autant qu’après le 1er septembre, règlement de campagne électorale oblige, les élus ne pourront plus procéder à des inaugurations.» Avec l’intérêt accru des collectivités pour le paysage et l’espace public, les professionnels ont ces dernières années accumulé de nouveaux types de projets, des cours d’école «oasis» aux rues-jardins.

Pourtant cette période intense ne saurait faire oublier à Paul Trouillot que «nous observons depuis le début de cette année 2025 une baisse des appels d’offres de marchés publics pour nos métiers». La chute des dotations des collectivités lui font donc envisager les années 2026 et 2027 avec inquiétude. D’autant que les difficultés de la promotion immobilière ne permettront pas aux paysagistes de se rattraper sur des aménagements de programmes privés.

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