Vous appelez à élaborer dès maintenant un protocole de reprise des chantiers qui puisse éviter les risques ultérieurs de contentieux. Pourquoi ?
Un peu plus de deux semaines après le début du confinement, les acteurs de la chaîne de construction évoluent dans un esprit d’empathie et de solidarité les uns envers les autres. Dans quelques mois, quand la crise sanitaire sera passée, l’atmosphère ne sera peut-être plus la même. On recherchera les mails justificatifs pour s’exonérer de ses responsabilités… ou chercher à la faire peser sur l’autre. Plein de questions se poseront : évaluation des surcoûts, modalités d’application du compte prorata, respect de la chaîne décisionnelle… Les évacuer aujourd’hui, c’est poser des bombes à retardement. Il faut donc profiter de ce moment pour fixer un cadre qui soit régi par la volonté de concertation.
En quoi le Grand Est vous semble-t-il particulièrement bien placé pour jouer un rôle pilote, à une échelle nationale ?
Parce que nous avons un précédent… tout récent : le conseil régional, en tant que maître d’ouvrage, a diffusé dès le 16 mars des consignes relatives à la conduite d’opération dans le contexte inédit que nous vivons (voir encadré). Elles sont claires et parfaitement équilibrées. Il s’agit d’un travail remarquable dans sa méthode, qui a permis des arrêts provisoires de chantiers selon le principe de la concertation.
Cette note donne un cadre juridique qui suspend les responsabilités contractuelles habituelles, d’un commun accord entre maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et entreprises. En particulier, elle évite d’appliquer les pénalités prévues par le CCAG (cahier des clauses administratives générales) en cas de non-respect des délais, en s’appuyant sur la reconnaissance par l’Etat de l’épidémie de coronavirus comme un cas de force majeure, pour les marchés publics.
J’ai fait savoir aux autres maîtres d’ouvrage du Grand Est l’existence de cette note, pour qu’ils s’en inspirent.
D’autre part, notre Ordre des architectes régional est déjà au travail avec la FFB et la Capeb pour proposer un cadre de reprise des chantiers : la concertation, à notre niveau, est pleine réalité !
Dans ce double contexte, j’ai écrit lundi 30 mars au président du conseil régional Jean Rottner pour lui proposer l’élaboration d’un tel protocole.
Quelles seraient les dispositions principales de ce protocole, notamment pour les premières étapes de reprise des travaux ?
Bien sûr, il intégrerait le contenu du Guide de l’OPPBTP en attente de publication. Mais dans mon courrier à la région, j’insiste sur l’importance de ne pas se limiter au sujet de la sécurité sanitaire. Il faut élargir le propos aux nombreuses autres conséquences de la crise en cours : situation économique de chaque intervenant, capacité à prendre des décisions, moyens en personnel et matériels disponibles, etc.
Nous insistons sur la nécessité d’une reprise progressive, en mode dégradé : si l’entreprise de charpente est prête à poser mais que les corps d’état suivants manquent des fournitures pour prendre le relais dans la foulée, ce n’est pas la peine de redémarrer. Il y a de très nombreux chantiers qui peuvent attendre deux semaines de plus. Prenons le temps d’une mise en sécurité, physique, mais aussi juridique.
La note de la région Grand Est sur l’arrêt des chantiers
Les « consignes relatives à la conduite d’opération » de la région Grand Est, dont Le Moniteur a eu connaissance, s’appuient sur le rôle pivot de la maîtrise d’œuvre d’exécution des travaux et de la mission d’OPC (ordonnancement-pilotage-coordination). Le texte permet aux entreprises de prétendre à une prolongation de délai sans pénalité. Pour cela, elles sont invitées à prendre l’initiative de signaler et de demander, au maître d’ouvrage ou au maître d’œuvre, la constatation « des causes induites par la propagation de l’épidémie faisant obstacle à l’exécution du marché dans le délai contractuel », notamment un manque de personnel et de fournitures de chantier, afin que le maître d’œuvre puisse en dresser le constat au sens de l’article 12 du CCAG Travaux, au terme d’un échange contradictoire avec les intervenants. Ce dialogue peut s’effectuer à distance. Il aboutit à évaluer le nombre de jours de prolongation des travaux.
Après avis consultatif de l’OPC, le maître d’œuvre propose les dispositions qui s’appliquent à la conduite de chantier, lot par lot, pour validation par le maître d’ouvrage et notification à chaque entreprise. Il établit alors un ordre de service, récapitulant notamment les constatations effectuées.
L’important est que les entreprises « puissent disposer d’une décision de prolongations de délais accordée et éviter ainsi tous litiges ultérieurs dans l’appréciation des causes du non-respect de leurs engagements contractuels », conclut la note.