Comment Arep a vécu cette invraisemblable année 2020 ?
Nous avons plutôt bien amorti les pertes d'activité, les délais dans les projets ou les suivis de chantier difficiles, qui sont surtout intervenus au cours de la première phase de confinement. Par ailleurs, nous avons en quelque sorte profité de l'expérience de nos équipes en Chine qui ont été confinées dès le début de la crise sanitaire. Le télétravail, testé à l'échelle d'une centaine de personnes là-bas, nous a permis d'être très réactifs ici et de faire en sorte qu'au soir du 16 mars dernier, quelque 850 collaborateurs en France rentrent à leur tour chez eux avec une station de travail. Toutefois, comme tous nos confrères, nous sommes évidemment en alerte sur ce que 2021 va nous réserver.
Quel a été l'impact sur votre chiffre d'affaires 2020 ?
En 2019, il s'élevait à 122 millions d'euros et l'objectif avait été fixé à 115 millions pour 2020. Finalement, nous avons dû finir un peu en dessous de 110 millions.
Une baisse avait donc été anticipée avant même la crise du Covid-19 ?
Nos prévisions s'appuyaient notamment sur les évolutions stratégiques que j'ai mises en place depuis mon arrivée, fin 2018, et qui reposent sur trois piliers : la relation client, la conception écologique et la performance de l'entreprise. Mettre l'accent sur ce dernier point signifie que, parfois, il ne faut pas s'engager sur toutes les opportunités qui se présentent pour faire du chiffre d'affaires. J'ai hérité d'une histoire formidable écrite par mes prédécesseurs, les architectes Jean-Marie Duthilleul et Etienne Tricaud.
Cependant, durant plus de vingt ans, priorité a été donnée à la croissance de l'activité et des effectifs, avec peut-être une tendance à trop vouloir être présent partout. Nous avons donc redéfini les sujets typologiques et programmatiques sur lesquels nous sommes pertinents… et les projets sur lesquels nous n'interviendrons pas ou plus, par exemple des opérations purement centrées sur le logement.
J'ai également arrêté de nouveaux choix sur nos activités à l'international et décidé ainsi de cesser nos implantations au Moyen-Orient. Le carnet de commandes n'y était pas à la hauteur de notre investissement. Il s'agit de nous concentrer là où nos positions sont solides, comme en Chine, où nous entretenons de très bonnes relations avec notre client CRC (China Railway Corporation), la société des chemins de fer chinois.
La relation client est l'un des trois piliers de votre stratégie. Mais cela ne relève-t-il pas du bon sens ?
Nous sommes une filiale de SNCF Gares & Connexions, c'est-à-dire du spécialiste de la gare. Nous avons la responsabilité des 3 000 gares de France, de leur conception jusqu'à leur exploitation. Cela nous donne un ADN 100 % public dont nous sommes fiers. Mais à disposer ainsi d'un client récurrent et essentiel, nous pourrions être tentés de nous reposer sur une forme d'automatisme.
Nous devons, au contraire, faire un effort de séduction et d'écoute pour conquérir des clients et les fidéliser.
Par ailleurs, Arep est connue avant tout comme agence d'architecture. Cette activité est majeure mais nos compétences portent sur six autres domaines et il est essentiel que nos clients découvrent nos savoir-faire en conseil et programmation, environnement et numérique, en design, en urbanisme… Par exemple, notre équipe Management de projets compte près de 200 personnes. Or je ne suis pas sûr que tous nos clients sachent que nous pouvons les accompagner sur des opérations complexes.
Votre troisième axe stratégique porte donc sur la transition écologique…
Arep doit devenir la référence en écoconception, une sorte de blockbuster post-carbone. Puisque nous sommes la première agence d'architecture du pays, le signal sera fort et j'assume totalement ce positionnement militant : face à l'urgence climatique et la crise de la biodiversité, nous voulons être le laboratoire de la transition écologique.
Arep fait-elle sa révolution verte ?
Absolument. Cette révolution ne vient toutefois pas de nulle part. Ses vingt ans d'existence ont déjà été jalonnés par des expériences enthousiasmantes et je rends hommage à mes prédécesseurs qui ont toujours été sensibles à ces questions. Nous leur devons la très vertueuse gare de Nîmes Pont-du-Gard (Gard), récemment livrée. Ou encore celle de Bellegarde (Ain) qui, avec la coupole solaire dont elle est dotée, a été il y a plus de dix ans une sorte de Panthéon bioclimatique.
« Puisque le réchauffement climatique est un coup parti, il nous faut adapter nos réalisations. »
Comment procédez-vous ?
Depuis deux ans, nous avons élaboré notre propre démarche qui servira de ligne de conduite dans nos sept métiers. Elle est intitulée EMC2B, pour « énergie, matière, carbone, climats et biodiversité ». Ce n'est pas un nouveau référentiel, mais un moyen mnémotechnique très pratique, dont les cinq points correspondent aux cinq crises majeures, toutes interdépendantes, que nous affrontons. EMC2B nous rappelle ce que nous ne devons pas perdre de vue dans tous nos projets : construire une gare ou fabriquer un nouveau mobilier pour les voyageurs en consommant moins d'énergie et en émettant moins de carbone ; faire que les établissements produisent eux-mêmes des énergies renouvelables, en transformant comme à Nîmes un parking en station de production photo-grâce à la plantation d'arbres ou la végétalisation ; utiliser davantage de matériaux locaux, biosourcés ou de réemploi… Et puisque le réchauffement climatique est un coup parti et que nous allons plutôt vers le pire des scénarios, il nous faut adapter nos réalisations, anticiper les risques naturels. Cela nécessite d'arrêter de concevoir un bâtiment pour le jour de la remise des clés et de prendre aussi en compte son fonctionnement en 2050. Cette équation formidable doit nous amener à penser des projets écologiques mais aussi magnifiques. Notre ambition restera forte en effet sur la qualité architecturale. Aller vers davantage de simplicité ne veut pas dire construire banal. L'écriture sera peut-être moins flamboyante, mais une bonne architecture est faite de subtilité, voire d'humour.
Pour porter toutes ces ambitions, vous a-t-il fallu bouleverser l'organisation d'Arep ?
Depuis mon arrivée, un autre chantier a en effet consisté à recomposer l'équipe de direction. Parce qu'il est nécessaire de s'appuyer sur des énergies neuves, des personnes extérieures nous ont rejoints, tel Philippe Bihouix, notre directeur général depuis un an. Outre sa longue expérience dans la construction et le ferroviaire, il est engagé sur les questions écologiques et très pointu sur les ressources non renouvelables.
Mais avant tout, l'idée était de comprendre l'énergie incroyable qui préexistait chez Arep. Dans les équipes, beaucoup de personnes étaient très investies et ont été séduites par l'ambition écologique que je portais. Au comité de direction, nous commençons à avoir un beau collectif, plus jeune et paritaire. La moyenne d'âge, aujourd'hui, s'y élève à 46 ans. Et sur ses 16 membres, la moitié sont des femmes. Auparavant, il comptait neuf personnes, dont deux femmes.