Anne Démians est une chanceuse. Elle dit n'avoir jamais été "rattrapée par la réalité", ce moment un peu cruel où les affres du quotidien viennent gâcher les idéaux de toujours. A 43 ans, l'architecte continue de penser qu'elle s'amuse et cultive comme une sereine inconscience: "Je ne vois pas les raisons de ne pas faire. Je ne vois que le résultat". La petite fille qui rêvait déjà au collège de devenir architecte n'est donc pas déçue. "Même si je m'en faisais une idée fausse, sourit-elle. Je m'imaginais construisant des maisons et je n'en ai fait qu'une." En tout cas, elle n'envisageait pas suivre son chemin pourtant tout tracé de jeune fille de bonne famille.
Née à Colmar par le hasard des mutations de son père ingénieur, Parisienne dans la pratique, Anne Démians d'Archimbaud est en effet héritière de l'aristocratie d'Aix-en-Provence. Les portraits des glorieux aînés sont d'ailleurs encore accrochés dans l'hôtel particulier de la famille, dans la ville provençale. "Quand j'avais huit ou dix ans, ma grand-tante Gabrielle m'a dit: "Voilà tes ancêtres, ils ont tous été décapités à la Révolution!", se souvient-elle.
Se démarquer
Dans cette très bonne société, on est promis à un brillant avenir... quand on est un garçon. "Mon oncle avait tendance à penser qu'une fille n'avait pas besoin d'éducation." Il fait donc courir les rallyes à sa nièce, pense même à la marier. Mais Anne Démians réussit à se "démarquer", d'abord parce que ses parents sont plus souples "et puis, j'amusais mon oncle". La jeune fille rangée intègre ainsi l'univers bien plus bohème de l'école d'architecture de Versailles. De son passage dans l'agence d'Henri Gaudin elle garde le souvenir du projet de réaménagement du musée Guimet et surtout "des récits merveilleux de ses conservateurs". Anne Démians affectionne ce moment "où il faut s'imprégner des autres, être dans un état de disponibilité". C'est le "stade du rêve" pour cette cousine aux cheveux couleurs d'or du Petit Prince. Elle aussi, quand les grandes personnes voient un chapeau, préfère l'idée du boa qui digère son éléphant. "Comme le Petit Prince, je ne veux pas être pervertie par les idées préconçues."
Se sentir libre
Après avoir monté une première agence avec d'anciens compagnons d'étude, Anne Démians crée la sienne en 2003. Mère de deux enfants de 11 et 13 ans, elle s'y sent plus "libre" et peut mieux satisfaire ses appétits. Fin 2007, elle se fait connaître par son travail sur la grande hauteur à Paris qui est dans tous les journaux. Peu de temps avant, elle avait emporté, entre autres sur Perrault et Ricciotti, le concours du nouveau palais de justice de Douai. Elle regrette aujourd'hui que le projet traîne en longueur, tant l'institution judiciaire l'attire. Peut-être parce qu'il y a de nombreux magistrats dans son arbre généalogique. Mais aussi parce que dans un tribunal, "on peut traduire un état de la société, se positionner politiquement".
De positionnement, le projet qu'elle mène aujourd'hui avec Rudy Ricciotti, Francis Soler et Finn Geipel dans le XVIe arrondissement de Paris n'en manque pas. L'an dernier, cette association à quatre, "aventure aussi tumultueuse que passionnée et fructueuse" leur a permis de décrocher l'aménagement de l'emprise de la gare d'Auteuil pour y faire des logements sociaux.