Agences d’architecture : au cas par cas (de conscience)

Les questionnements des concepteurs excèdent largement les seules dimensions de l'esthétique et de la technique au service d'un programme.

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L’éthique est un sujet auquel nous sommes régulièrement confrontés, concède très diplomatiquement la directrice de la communication de cette grande agence d’architecture parisienne. On n’en saura guère davantage. Soit. Disons-le : la plupart de nos demandes d’entretien sont restées lettre morte. Pas même un accusé de réception. Sujet sensible apparemment, qui articule responsabilité sociale de l’entreprise, réputation dans le microcosme, politique anti-corruption, morale individuelle, déontologie de la profession, positionnement d’agence voire posture philosophique et engagement citoyen. Peu acceptent d’en parler. D’autres y consentent… puis se rétractent. Peut-on, sans état d’âme, concevoir une prison ou un centre de rétention administrative ? Construire davantage à l’international - Chine, Arabie saoudite, Turkménistan… - comme Rachida Dati, ministre de la Culture, exhorte les architectes à y oser, est-il vraiment si simple ? Souvent, géopolitique varie. Mais qu’en est-il de l’éthique ? Témoignages.

« Nous restons attentifs aux dérives autoritaires », Michel Rémon, architecte, Michel Rémon & Associés

« Nous travaillons à l'international depuis longtemps : Maroc, Israël, Algérie, Russie… Chaque pays, chaque projet, chaque commande engage des responsabilités et invite à penser au-delà des jugements simplistes : la France n'est pas le centre du monde ! Partout nous avons fait le choix d'œuvrer à des programmes d'intérêt public - hôpitaux, équipements éducatifs ou scientifiques, etc. Des projets qui améliorent les conditions de vie. Ce n'est pas une garantie morale, mais une position cohérente avec notre manière de concevoir le rôle de l'architecte. Nous avons suspendu immédiatement nos activités en Russie au début de l'invasion de l'Ukraine, alors même qu'un chantier d'envergure allait démarrer à Moscou. Mais qui juge qu'un pays est “acceptable” ou “problématique” ? Selon quels critères ? Qui les établit, et au nom de quoi ? L'architecture s'inscrit dans des réalités politiques, économiques, sociales, etc. Nous restons attentifs aux dérives autoritaires et aux contextes conflictuels. L'éthique est un exercice permanent, parfois inconfortable. C'est peut-être ce doute lucide qui nous guide le plus sûrement. »

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« Il nous faut admettre que nous ne sommes pas omniscients », Jacob Celnikier, architecte, Celnikier & Grabli Architectes

« L'agence n'a pas de programme “tabou” a priori. Nous avons participé à deux concours pour des structures d'accompagnement vers la sortie du ministère de la Justice. Le programme était ambitieux, mais les contraintes énormes, et le résultat éminemment carcéral. Nous avons essayé de trouver une “ouverture”, en vain. Le divorce était total entre volonté politique et réalité pénitentiaire. Nous avons perdu. On nous a relancés, mais nous avons décliné. De même pour des logements de promoteurs.

Ça a été catastrophique : produit, business plan, rentabilité à tous crins… C'est parti en conflit. Nous nous sommes arrêtés avant le permis. Nous avons, par ailleurs, construit en Egypte un hôpital de haute technologie, avant la révolution du Printemps arabe (2011), en un laps de temps très court.

La place des femmes dans cette ingénierie spécifique a été une découverte incroyable. Travailler avec les chercheurs, les personnels, l'utilisateur final, est un processus passionnant et incarné. L'éthique, c'est aussi admettre que nous ne sommes pas omniscients face à la complexité croissante des projets. »

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« L'intérêt général du projet guide nos choix », Eric Bussolino, directeur ingénierie et environnement, AIA Life Designers

« L'éthique est centrale dans nos réflexions. Je rappelle que la profession obéit à un code de déontologie, avec des obligations et des interdictions vis-à-vis de nos commanditaires et de nos confrères. Le développement de nos projets passe par des engagements sur certaines valeurs : bilan carbone, notion de santé globale, impact environnemental, etc.

Côté programmes, nous avons récemment refusé une invitation pour un projet de centre de rétention administrative après de longs débats en interne. C'est l'usage qui nous guide : le projet est-il utile pour la société ? Revêt-il un intérêt général ? Etc. A l'export se pose la question du pays de destination et de son rapport à la démocratie. Ce qui n'a rien d'évident si on regarde aujourd'hui vers les Etats-Unis…

Nous avons ainsi été sollicités pour un hôpital en Arabie saoudite autour de “The Line”, ce projet “hors-sol”. Nous avons décliné, malgré l'utilité d'un tel équipement pour les populations.

Nos engagements environnementaux auraient été difficiles à assumer ici. Et nous n'étions pas à l'aise non plus sur la question des droits humains… »

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