Cette drôle de petite remorque, qui supporte les 5 t d’un palmier camerope de 5 m de haut, droit comme un i dans sa caisse estampillée « Les jardins du Roi Soleil », s’appelle un fardier. Les jardiniers de Louis XIV utilisaient presque le même modèle, attelé à des chevaux, pour coltiner à bras cette forêt d’arbres exotiques de l’ombre à la lumière, autrement dit, de l’Orangerie au parc. Géry Baron, chef jardinier adjoint de Versailles a lui-même manœuvré, à ses débuts, cet ancêtre en bois aux grandes roues de charrettes : « il ne fallait surtout pas laisser le poids des arbres et des caisses faire basculer le fardier car le bonhomme accroché au brancard décollait du sol et pédalait dans le vide ! ».
L’hydraulique en plus. La machine actuelle décline le principe du fardier, la mécanique et l’hydraulique en plus. Le bois a laissé place à l’acier, le brancard à un attelage accroché au tracteur et les roues aux rayons cerclés de fer à de solides versions pneumatiques. Le cric à mains qui soulevait les caisses pour les accrocher aux chaînes est remplacé par un simple bouton sur le tracteur utilisant sa force hydraulique pour décoller la charge du sol sans effort. « C’est le constructeur Michel Dairon, de l’entreprise Rotadairon au Mans, qui a créé cette version XXe siècle, à notre demande », rappelle Joël Cottin, jardinier en chef de Versailles. Le bon millier de végétaux – orangers, citronniers, grenadiers, ficus, araucarias – qui passe l’hiver à l’abri des majestueuses voûtes de l’Orangerie et de ses doubles vitrages d’époque prend ses quartiers d’été en deux semaines.
Pas le droit à l’erreur. La mise en marche de cette « forêt » est minutieuse. L’équipe d’Éric Quenea, responsable de l’Orangerie, trace au cordeau les alignements suivant un plan pré établi. Patrick Courbé, son adjoint, donne les instructions les yeux fermés et repère instantanément toute ligne hors du bon axe. « On commence par la partie haute, le haut de la Royale – l’allée centrale de la cour de l’Orangerie de 12 m de large – puis le tour du bassin et enfin son retour en travers ». Les lignes sont tracées au plâtre comme sur un terrain de foot et les emplacements des caisses marqués d’un trait. Celles-ci doivent être convenablement posées dès le départ. Pas simple, car le rangement dans l’Orangerie n’a rien à voir avec l’ordonnancement du dehors ! Il faut mettre chaque arbre à la bonne place. Un vrai casse-tête, les essences étant différentes, de formes différentes, des plus petites aux plus grandes. « Autrefois, on alignait les troncs, rappelle Patrick Courbé. Aujourd’hui, l’alignement s’effectue sur les boules ». Les palmiers, les plus grands et les moins fragiles, ouvrent le ballet des sorties et sont installés le plus loin, sur les allées prolongeant les grands escaliers de l’Orangerie.
Une concentration extrême. Parfois, il faut sortir un arbre pour en atteindre un autre ou déménager le ficus géant qui passe juste sous les grandes portes du bâtiment. Ici, chacun entretient des rapports affectifs avec le peuple arboricole de l’Orangerie et a son arbre préféré. Pour Éric Quenea, c’est le washingtonia filifera, un palmier, pour d’autres, le schinus molle ou faux-poivrier. Les plus lourds sont transportés au fardier, les autres au chargeur à fourches. Une flottille de 4 tracteurs et 2 chargeurs réalise au plus vite cette impressionnante migration annuelle, dans un nuage de poussière et une ambiance de Paris-Dakar ! La concentration est de mise, la hantise des jardiniers étant de renverser une caisse. Une catastrophe pour l’arbre, blessé à coup sûr. Et comme le sol n’est pas parfaitement plat, il faut aller vite et surtout bien négocier les légers creux et bosses qui risquent de déséquilibrer les précieuses charges.




