Ouvrage d'art : appuyer sur le tablier pour relever la clé

Pour remettre en état le premier pont en béton précontraint construit par Eugène Freyssinet, il a fallu imaginer un procédé de recalage tout en finesse.

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La poussée exercée par les 18 vérins a permis de relever la clé de 6 cm. De nouvelles cales sont ensuite venues remplacer les anciennes dont la taille n'était plus adaptée.

C'est à Luzancy, petit village de Seine-et-Marne, qu'Eugène Freyssinet mit en œuvre pour la première fois la technique du béton précontraint par prétension qui allait le faire entrer dans l'histoire du génie civil. L'ouvrage qui permit cette innovation est un pont routier de 55 m de long sur 8 m de large au- dessus de la Marne, achevé en 1946. Etait-ce l'enthousiasme suscité par ce nouveau procédé ? Toujours est-il que le pont intègre la précontrainte dans la totalité de ses éléments. Horizontale, verticale et transversale dans les hourdis, elle est également présente dans les piles, la dalle de transition et même les garde-corps.

Pousser le tablier. En 2020, l'ouvrage ayant montré des signes de faiblesse, le conseil départemental a dû y restreindre sévèrement la circulation avec une limitation de tonnage et un alternat par feux. Le pont de Luzancy avait besoin d'une nouvelle jeunesse et c'est Technirep, filiale d'ETPO et spécialiste de la réparation des ouvrages d'art, qui s'est emparée du projet. « Avec le temps et la fragilisation des fils de précontrainte qui étaient revêtus d'une faible épaisseur de béton, la tension longitudinale s'est relâchée et le niveau du tablier est descendu, mettant en péril l'effet d'arche qui garantit sa robustesse », explique Stanislas Assier de Pompignan, ingénieur travaux en charge du projet. Une précontrainte additionnelle ayant déjà été mise en place dans les années 1970, il fallait trouver une autre solution. « Si la technique mise au point par Eugène Freyssinet consiste à exercer une traction sur les aciers à l'intérieur du béton, c'est leur relâchement vient le compresser. Nous avons donc choisi de réaliser cette tension en poussant le tablier depuis les culées », détaille Christophe Paulard, directeur général de Technirep. Une voie inédite empruntée avec l'aide du Cerema et du maître d'œuvre PCM.

Les équipes ont commencé par « peser » l'ouvrage, c'est-à-dire par calculer les descentes de charges existantes grâce à des vérins horizontaux et verticaux placés sur les culées. « Ces données ont ensuite été intégrées à un modèle de façon à déter miner les mesures de recalage à la clé et donc les valeurs de poussée à appliquer », précise Stanislas Assier de Pompignan. Au final, 18 vérins - 12 horizontaux de 165 t et 6,5 cm d'épaisseur réalisés sur mesure pour une poussée effective de 960 t et 6 vérins verticaux de 250 t - ont été installés sur la culée en rive gauche, la rive droite venant offrir sa résistance. Objectif : relever la clé de 6 cm. Une opération complexe qui a demandé de s'y reprendre à trois fois, les vérins perdant une fraction de leur course entre deux pressions. Autre difficulté : ne pas endommager la rotule, également conçue par Eugène Freyssinet, qui sert d'appareil d'appui aux béquilles sur lesquelles repose le tablier. L'obligation de faire travailler dans une parfaite simultanéité les trois caissons indépendants du tablier constituait un point d'attention supplémentaire, le tout dans un espace particulièrement restreint.

Nacelle négative. Sur le tablier, certains bétons, très endommagés, ont été purgés, les aciers grattés et couverts d'un mortier fibré. Les deux rangées de bossages placées de chaque côté du tablier pour accueillir les ancrages des câbles de précontrainte transversale ont nécessité un gros travail de reprise, tout comme les potelets des garde-corps dont certains, particulièrement dégradés, ont été reconstitués en intégralité. Pour les zones situées sous le pont et sur les côtés, Technirep a mis en place une nacelle négative, un dispositif qui a évité d'avoir recours à un échafaudage, très contraignant en raison du trafic fluvial, mais qu'il fallait malgré tout replier à chaque passage de péniche à partir d'un certain niveau d'eau.

Encouragé par la réussite de son premier ouvrage en béton précontraint, Eugène Freyssinet lui a donné cinq petits frères sur la Marne que le département envisage de rénover également.

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Informations techniques

Maîtrise d'ouvrage : conseil départemental de Seine-et-Marne. AMO : Cerema.

Maîtrise d'œuvre : PCM Ingénierie.

Etudes et modélisation : C2ODA.

Entreprise de travaux : Technirep (groupe ETPO).

Durée des travaux : de juillet 2024 à avril 2025.

Coût de l'opération : 923 000 euros HT.

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